
Dans la pénombre théâtrale qui baigne cette scène, Manfredi nous fait spectateurs d’une comédie humaine aux allures de tragédie morale.
Surgissant du noir profond, quatre figures s’animent dans un jeu subtil d’illusion et de duperie. Au centre, une jeune bohémienne vêtue d’une robe vermillon saisit la main d’un élégant jeune homme aux plumes extravagantes, absorbé par les prédictions qu’elle lui murmure. Sa curiosité pour l’avenir l’aveugle sur le présent : tandis qu’elle feint de lire son destin, sa complice dérobe subtilement la bourse du naïf. Mais elle ne se rend pas compte qu’elle se fait elle-même dérober, dans son dos, de son poulet.
La composition concentre toute la tension dramatique sur le contact des mains. Le clair-obscur caravagesque sculpte les visages et les gestes avec une intensité quasi palpable, faisant jaillir la chair et les étoffes précieuses de l’obscurité.
Pour aller plus loin
- Bartolomeo Manfredi, La Diseuse de bonne aventure, vers 1616-1617
- huile sur toile
- 122.2 x 154.4 cm
- Detroit Institute of Arts, Founders Society Purchase, Acquisitions Fund, 79.30.
- https://dia.org/collection/fortune-teller-53312
Bartolomeo Manfredi (1582-1622), figure essentielle mais longtemps méconnue du caravagisme européen, incarne l’héritage du maître lombard dont il fut l’un des plus brillants suiveurs. Né à Ostiano près de Mantoue, formé entre Lombardie et Rome, il développa un style si proche de celui du Caravage que nombre de ses œuvres furent longtemps attribuées à son illustre modèle. Plus qu’un simple imitateur, Manfredi sut codifier et systématiser l’approche caravagesque, créant un langage pictural influent qui se diffusa dans toute l’Europe.
Spécialiste des scènes de genre avec personnages à mi-corps sur fond sombre, il contribua largement à populariser cette esthétique auprès des collectionneurs fortunés, tout en insufflant à ses compositions une dimension psychologique personnelle. Mort prématurément à 40 ans, Manfredi reste aujourd’hui reconnu comme le « traducteur » essentiel du style du Caravage.